Un expert de l’ONU critique l’inertie du Conseil des droits de l’homme

jeudi 25 mars 2010,par Jean Bosco Nzosaba

Un expert de l’ONU critique l’inertie du Conseil des droits de l’homme

Alors que de nombreux pays contestent un rapport de l’ONU révélant leur participation dans un large réseau de prisons secrètes liées à la lutte anti-terroriste, Manfred Nowak, rapporteur spécial sur la torture et co-rédacteur du rapport, s’insurge.

Carole Vann/InfoSud - Une étude de l’ONU a créé l’embarras général au Palais des Nations à Genève. Publié le 27 janvier dernier, le document de près de 200 pages est le fruit d’enquêtes croisées entre l’expert indépendant sur la lutte contre le terrorisme, Martin Scheinin, et celui sur la torture, Manfred Nowak, ainsi que les groupes de travail sur les disparitions forcées et sur la détention arbitraire. Il met en lumière les connections entre 66 pays impliqués dans des réseaux de détention secrète et pointe du doigt la nécessité impérative de transparence des services secrets dans la lutte contre le terrorisme. Initialement prévue pour la session du Conseil des droits de l’homme qui se déroule ce mois de mars, la présentation du rapport est reportée à la session de juin. Exaspéré, Manfred Nowak critique l’inertie du Conseil. Interview. InfoSud : La polémique autour de ce rapport sur les détentions secrètes souligne le fossé entre les experts de l’ONU, gardiens des libertés, et les intérêts sécuritaires des Etats. N’avez-vous pas l’impression de mener une guerre perdue d’avance ? Manfred Nowak : J’ai été plutôt encouragé par le fait que les USA aient opté pour un dialogue interactif immédiat sur le rapport, même s’ils en ont contesté une partie du contenu. Mais d’autres pays [ndrl : surtout le groupe des pays africains et ceux de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI)] contestent le rapport et nous accusent, nous les experts, d’avoir outrepassé notre mandat. Comment peuvent-ils dire cela ? La détention secrète est l’une des pires formes de violations des libertés en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la torture y est pratiquée de manière systématique. Qui est mieux habilité à en parler que l’expert sur la lutte contre le terrorisme et celui sur la torture ? Nous avons montré que ces abus ne concernent pas seulement la CIA, mais aussi tout un réseau de pays qui ne sont pas en relation avec les USA. Lorsque le gouvernement russe est impliqué dans des prisons secrètes en Tchétchénie, cela n’a rien à voir avec la CIA. En plus, nous avons été totalement transparents. Nous avons envoyé des questionnaires à tous les gouvernements du monde, et lorsque notre rapport a été terminé, nous avons, avant de le publier, envoyé aux 66 pays cités les parties les concernant afin qu’ils y mettent leurs commentaires. Pourquoi ce rapport dérange-t-il tant alors que les faits avaient déjà été révélés dans les médias ? Effectivement, mais ici, ce sont quatre experts indépendants de l’ONU qui rassemblent toutes ces données dans un seul et même rapport. Le tout mis ensemble est plus menaçant pour les Etats que des articles dans le Washington Post. Et ces Etats savent aussi que 99% de ce que nous avons écrit est vrai. Il y a peut-être quelques petites inexactitudes dans les informations données par les ex-détenus, car ils n’ont pas toujours la mémoire exacte des lieux où ils se trouvaient. Ils avaient les yeux bandés, étaient en état de choc et la CIA et les autres faisaient tout pour les embrouiller. Les ex-détenus déduisaient des lieux où ils se trouvaient grâce à un dialecte qu’ils reconnaissaient ou une étiquette sur une bouteille ou encore par la sensation de chaud ou froid. Nous avons mis tous ces petits détails ensemble, avec en plus des évaluations des durées de vols, pour en constituer un puzzle. La responsabilité des gouvernements est claire et ils doivent mettre en œuvre des enquêtes sur plan national. Si ces enquêtes sont sérieuses et parviennent à des conclusions différentes de miennes, je serai le premier à admettre mes erreurs. Mais se borner à réfuter le tout, ce n’est pas une manière responsable de traiter un problème aussi grave que la détention secrète. Ce rapport met en lumière l’impunité services secrets. Comment y remédier ? Il n’y a rien de nouveau dans le fait que les services secrets de divers pays coopèrent entre eux, mais ils ne peuvent se comporter en état dans l’état. Les gouvernements doivent mettre leur services d’intelligence sous plus de contrôle afin que les abus qui ont eu lieu après le 11 septembre ne se reproduisent plus jamais. Il n’y a pas de conflit entre sécurité et libertés, cette croyance a été construite de toute pièces par l’administration Bush. Il y a bien assez de moyens de combattre les crimes dans le cadre des droits de l’homme. Les pays musulmans sont particulièrement opposés à ce rapport. Pourquoi ? Ceux qui sont arrêtés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme viennent de ces pays, l’Arabie saoudite, le Yémen, le Pakistan, la Palestine. La situation est donc délicate et schizophrénique. Car, d’un côté, si on lit le rapport du département américain sur les droits de l’homme dans le monde, on voit que des pays comme la Syrie ou l’Egypte y sont dénoncés pour tortures systématiques. De l’autre côté, les Etats-Unis envoient dans ces mêmes pays des personnes afin qu’elles y soient torturées pour avoir plus d’informations. Et ces pays, très critiques envers les USA sur beaucoup de points, sont pourtant leurs alliés dans la lutte contre le terrorisme, car ils ont chez eux un réel problème. Le rapport montre que tout le monde a les mains sales. Quelle est la prochaine étape ? Ce rapport doit surtout servir à tirer des leçons pour le futur. Mais pour cela, on doit connaître toute la vérité. Ce rapport donne une bonne idée de ce qui s’est passé, mais certainement pas tout. Et il faut combattre le terrorisme à sa source. Si la question de la Palestine était résolue, cela enlèverait bien du potentiel au terrorisme. Et il ne faut pas oublier que la pauvreté est le principal vivier dans lequel sont recrutés les soldats du terrorisme. Plus de gens meurent de pauvreté et de faim qu’il n’y a eu de morts lors des attentas du 11 septembre. Je ne veux pas être mal compris : le 11 septembre a été la pire attaque terroriste que le monde ait connu, il s’agit d’un crime contre l’humanité. Mais ne perdons pas de vue les proportions.

 

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