Professeur Julien Nimubona ?value l’ ?tat du processus ?lectoral

jeudi 18 mars 2010,par Jean Bosco Nzosaba

Professeur Julien Nimubona évalue l’état du processus électoral Deux mois seulement avant les élections au Burundi, la fièvre électorale commence à monter parmi certains acteurs politiques et l’on observe une intolérance politique entre les partis. Certains partis semblent être déjà partis en campagne alors que celle-ci n’est pas encore lancée officiellement. L’opposition parle de deux poids, deux mesures. Burundi Tribune a invité le politologue Julien Nimubona, expert en gouvernance politique, pour nous faire une analyse de la situation politique du moment et proposer ce qui devrait être fait pour que les Burundais aillent dans une campagne apaisée et des élections réussies. Entretien exclusif. Burundi Tribune (BT) : Professeur Julien Nimubona, quelle appréciation faites-vous du discours des acteurs politiques burundais à moins de 2 mois des élections ? Le trouvez-vous rassurant ? Julien Nimubona (JN) : Il y a un problème de gestion politique et institutionnelle ; c’est-à-dire on est tétanisé. Les partis politiques sont tétanisés, la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) est tétanisée par le fait que l’on entre en campagne et on n’y entre pas non plus. Certains partis sont partis, les autres ne sont pas partis ; certains candidats sont déclarés, les autres ne le sont pas, … c.-à-d qu’il y a ambiguïté. Les discours que l’on fait sont des discours qui parlent sur surtout ce que je suis ou ce que l’autre est. On n’a pas encore de véritables discours qui émettent sur ce qu’on pourrait appeler des projets de société ou des programmes de gouvernement, parce que les acteurs actuels estiment que nos compatriotes ne votent pas en fonction du contenu des programmes ou de vision. De ce point de vue, je crois qu’il faut que les médias et la société civile amènent les acteurs politiques à dire des choses concrètes en ce qui concerne la vie quotidienne des citoyens. Pour l’instant je ne sens pas cela, et cela relève de cette ambiguïté du temps où les partis pensent être en campagne sans y être, où les institutions chargées de la gestion de cette période limitent en quelque sorte les manifestations publiques. Et cela cause un réel problème. BT : Tout à l’heure vous parliez d’éthique en politique. Concrètement qu’est-ce que le lecteur devrait comprendre ? JN : J’ai dit que les médias doivent amener les acteurs politiques à chercher à marquer leur territoire, dire notamment des choses claires, et on va voir qui est différent de qui sur la question de l’Etat de droit, la question de justice transitionnelle, leur politique économique et sociale ainsi que leur mode de financement. J’ai ajouté la question de l’éthique en politique. C’est un sujet extrêmement important. Ca signifie que les acteurs qui se présentent devant les citoyens doivent être des acteurs fréquentables sur le plan moral, fréquentables sur le plan de la gestion de l’Etat. Qu’aujourd’hui nos jeunes étudiants et élèves s’identifient dans des personnalités qui ont brillé par la corruption, par le détournement de la chose publique, que sur nos listes électorales il figure des gens qui sont accusés de crimes graves, de crimes économiques, de violations massives des droits de l’homme, … c’est condamner le système politique à l’errance et au manque de repère. Il ne faudra pas être étonné si un système politique courrait le risque de l’instabilité politique par ce que la société se dit : comment se fait-il que l’on soit géré par des gens aussi immoraux, que l’on ait mis sur la scène publique des personnalités qui ne respectent pas la vie physique des gens… qui ne respectent pas l’éthique dans la gestion de l’Etat ? Et là, tous les partis politiques doivent faire ce que j’appellerais une charte qui disqualifie ce type de personnalité. Si non c’est extrêmement grave ce que nous sommes en train de vivre. BT : A deux mois des élections, certains partis ont présenté leurs candidats aux présidentielles, d’autres candidats dont celui du parti au pouvoir le CNDD-FDD ne sont pas encore déclarés. Quel commentaire ? JN : Pour l’instant, certains ne l’ont pas encore fait pour des raisons diverses internes à leurs partis, mais aussi pour des raisons liées au calendrier de la CENI. Il y a de toutes les façons un délai qui leur sera obligé. Certains partis pour des raisons stratégiques préfèrent ne pas annoncer leur candidat. Mais, il faut le dire aussi, pour des partis comme le CNDD-FDD ou UPRONA il y a des délibérations internes qui n’ont pas encore débouché et ces partis sont aussi tétanisés pour ces choix car ils consacreraient sans doute de grandes divisions sur le plan interne. Mais jusque à quand ? Ces partis seront un jour ou l’autre obligés de déclarer leurs candidats. BT : Il y a quelques semaines un code de bonne conduite des partis politiques, des médias et de l’administration en période électorale a été signé mais pas tous les partis ont apposé leur signature. Quelle lecture faites-vous de cette attitude de certains partis ? JN : C’est une bonne chose que ces partis se conviennent d’un mécanisme d’autorégulation qui permettra que ces partis- si ils tiennent parole- vont travailler en compétition électorale sans violence, en respectant les lois de la république. Mais je ne me fais pas d’illusion puisque en pleine compétition électorale, les passions peuvent déborder la raison. En cette période-ci, ils sont en phase de raison. Mais il se pourrait qu’ils soient débordés par les passions. Alors c’est pourquoi je dis « Attention. Même si ces partis s’imaginent qu’un code de conduite est nécessaire, rien ne peut remplacer un mécanisme légal contraignant. Donc la loi doit sévir  ». BT : Concrètement, qu’est ce qu’il faudrait faire ? JN : Il faut que les institutions de la République qui sont chargées de la gestion des élections sévissent en cas de non respect, par les partis politiques ou les candidats aux élections, de la loi en la matière. BT : Certains partis n’ont pas signé. Trouvez-vous cela normal ? JN : Je trouve que ces partis ont raison. Il se pourrait – et cela est une appréciation de chaque parti- que les partis qui n’ont pas signé ont apprécié la situation en se disant « ça c’est une poudre aux yeux ; sur terrain le code n’est pas respecté  ». Ou bien qu’ils aient constaté qu’il ya une instrumentalisation du mécanisme par certains partis qui voudraient se montrer comme des champions de paix alors que dans la réalité ils ne le sont pas. Mais cela ne veut pas dire que le parti qui n’a pas signé va s’engager dans une phase de violence ; je n’en suis pas certain. Mais qu’il s’agisse des partis qui ont signé le code ou de ceux qui ne l’ont pas signé, eh bien la loi doit sévir. Et c’est pour cela que les institutions chargées d’organiser ces élections doivent observer un maximum d’objectivité. Et c’est une grande responsabilité qu’ont les ministères de l’Intérieur, celui de la Sécurité publique et, bien entendu, le ministère de la Justice. BT : Professeur Julien Nimubona, merci. JN : Merci à vous

 

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