Afrique du Sud : imposible r ?forme agraire

mercredi 18 mars 2009,par Jean Bosco Nzosaba

Quinze ans après la fin de l’apartheid, la terre reste encore largement aux mains des grands propriétaires blancs en Afrique du Sud. Et l’annonce de redistribuer 30 % de la terre d’ici 2014, martelée par le pouvoir en cette période électorale, ne semble pas en mesure d’être réalisée.

"La terre à ceux qui la travaillent !" À quelques mois des élections générales en Afrique du Sud, ce slogan de l’African National Congress (ANC) rappelle l’enjeu de la réforme foncière dans un pays où les structures agraires sont encore largement marquées par l’apartheid. En campagne, le parti historique de Nelson Mandela promet une accélération de la réforme agraire avec la redistribution de 30 % des terres en faveur de la population noire d’ici 2014. Ce nouvel objectif peine pourtant à masquer l’échec de la réforme mise en place par l’ANC depuis son accession au pouvoir en 1994. En quinze ans, seuls 5 % des terres ont été redistribuées, laissant plus de 80 % de la surface agricole aux mains de grands propriétaires blancs. Négociée à la fin de l’apartheid, la politique de redistribution des terres repose sur la loi de l’offre et de la demande. Mais le marché est pour le moins déséquilibré. D’un côté, 40 000 exploitations industrialisées pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’hectares. De l’autre, une population rurale paupérisée qui n’a ni l’argent ni les compétences pour reprendre ce type d’entreprises. Lorsque les transactions ont néanmoins lieu, "la large sous-utilisation de la majorité des terres transférées est évidente", lâche Edward Lahiff, chercheur pour le programme des études agraires de l’université du Cap. De la bouche même du directeur général du département des Affaires foncières, Tozi Gwanya, plus de la moitié des projets d’installation de la réforme agraire ont "échoué".

La division des propriétés toujours interdite Les nouveaux agriculteurs se heurtent au manque d’argent et de qualifications nécessaires pour faire tourner une entreprise agricole. D’autant que les savoirs paysans ont été malmenés dans un pays où la population a été massivement déplacée vers les townships et les bantoustans dans la première moitié du XXe siècle. Les formations proposées par le gouvernement n’ont pas été à la hauteur des besoins, regrette Koketso Mphahlele, du Centre de développement rural de l’université du Limpopo, qui souligne que "peu ou pas d’accompagnement et de soutien techniques et financiers" suivent l’installation. L’interdiction de diviser les propriétés, conformément à une loi de 1970 toujours en vigueur, complique également la tâche des repreneurs qui se regroupent par dizaines ou centaines pour reprendre une ferme. "Imaginez 450 personnes sur une ferme ayant chacun leurs propres intérêts. Les uns veulent planter des légumes alors que les autres souhaitent se lancer dans l’élevage... Sachant que seulement une poignée d’entre eux a le savoir-faire et aucun les compétences pour diriger une exploitation. Le résultat est que la production s’effondre et que de moins en moins de personnes continuent à travailler", explique K. Mphahlele.

La loi sur l’expropriation suspendue Parmi les terres redistribuées, 45 % l’ont été dans le cadre des restitutions. Ce programme de réparation permet aux personnes ou aux communautés spoliées à la suite de la loi foncière de 1913, qui attribuait 92 % de la terre aux Sud-Africains blancs, de réclamer la restitution de leurs biens. E. Lahiff rappelle que "la grande majorité des demandes de restitution ont été réglées par une compensation financière". Cette année devrait marquer la fin des restitutions. Mais cet objectif est "infaisable", selon T. Gwanya qui estime que 15 milliards de rands (1,14 milliard €) seraient nécessaires pour racheter l’ensemble des terres réclamées, soit 5 fois plus que le budget alloué. C’est notamment pour accélérer les restitutions et permettre à l’État de peser sur le marché foncier que le Parlement a voté une loi sur l’expropriation en 2008. Dans le cadre des restitutions, l’État achète la terre à restituer au prix fixé par le propriétaire en place. Si aucun accord à l’amiable n’est trouvé, la procédure passe en justice. Mais la propriété privée étant un droit inaliénable, la situation est souvent bloquée. La fronde des grands propriétaires contre ce texte ne s’est pas fait attendre et la loi est suspendue jusqu’à nouvel ordre. Le sujet est d’autant plus sensible que l’expérience zimbabwéenne a stigmatisé toute tentative d’atteinte à la propriété privée. Jusqu’à présent, le gouvernement a peu touché aux intérêts de l’agriculture industrielle et des grands propriétaires. Outre la dominance néo-libérale des politiques de l’ANC, cela s’explique, selon le directeur du programme des études agraires de l’université du Cap, Ben Cousins, par les "compromis" du pouvoir avec l’élite blanche et par la "marginalité sociale et politique des zones rurales" dans un pays où près de 60 % de la population qui vit en ville. Selon le scénario quasi unanime, des élections générales, fixées le 22 avril prochain, l’ANC devrait être réélu à la tête de l’Afrique du Sud. Reste à voir s’il pourra tenir ses promesses. Selon T. Gwanya, l’objectif de redistribuer 30 % de la terre d’ici 5 ans "est impossible avec le budget actuel". Il a proposé au Parlement en novembre dernier d’instaurer un impôt foncier, une solution à laquelle le pouvoir a résisté jusqu’à présent.

 

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