RECONCILIATION.

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vendredi 24 octobre 2008,par Jean Bosco Nzosaba

Carte Blanche : Justice transitionnelle et Etat de droit (Par André Gichaoua)

En Afrique et au-delà, le terme de justice transitionnelle reste attaché au processus sud-africain de transition politique. Les termes « Vérité, justice et réconciliation  » exprimaient alors une triple exigence : établir la « vérité  » sur les drames passés et convenir des responsabilités, mettre fin à l’impunité, instaurer la paix et jeter les bases d’une réconciliation future. L’exercice collectif de reconnaissance et de sanction des crimes commis fixait le « prix  » à payer par les protagonistes pour faire entrer la société sud-africaine dans une ère nouvelle. Les engagements ont été tenus et les objectifs atteints pour l’essentiel.

Malgré les références officielles, les démarches engagées dans les pays de la région des Grands lacs diffèrent notablement. Au Burundi et en RDC, où les rapports de force politiques ne sont pas entièrement tranchés et les issues politiques déterminantes différées, la justice transitionnelle connaît le même sort. En RDC, la commission Vérité, justice et réconciliation ne se réunit plus et une amnistie de facto prévaut. Au Burundi, le volet judiciaire est reporté sine die. Sur la base de vérités occultées ou reconnues à demi-mot, la réconciliation y relève plus de l’affichage médiatique à usage interne et externe que de l’adhésion des individus et des groupes. Par contre, au Rwanda, où l’issue du conflit laisse face à face un camp vainqueur et un camp vaincu, la justice transitionnelle repose sur des procédures « populaires  », expéditives et massives. Dénonciations, aveux et réécriture de l’histoire suppléent la vérité. Érigée en mots d’ordre politique, la réconciliation relève de la rééducation politique.

La réconciliation ne se décrète pas

Si les nouveaux pouvoirs y trouvent leur compte, tel n’est pas le cas de la justice. Sans consensus sur leur légitimité, ces processus inachevés ou déniés consacrent des rapports de force momentanés. Le risque est donc grand que ces politiques de sortie de crise butent alors sur la mémoire obstinée de populations désabusées ou stigmatisées refusant, pour des raisons opposées, de sacrifier la lutte contre l’impunité sur l’autel de l’« unité  » et de la stabilité nationales et continuant à exiger qu’une justice dans laquelle ils auraient confiance se prononce enfin. Comme le processus sud-africain parmi tant d’autres le démontre, rien n’interdira un jour futur la réouverture, sous des procédures juridiques classiques, de dossiers que les diverses victimes estiment non classés.

C’est pourquoi, dans tous les cas, le rétablissement d’un système judiciaire efficient et indépendant s’impose comme une priorité absolue. Lorsqu’elle existe, une telle justice peut se suffire. Juger, veritatem dicere, signifie « dire le vrai  ». De même, la justice n’est pas en charge de la réconciliation, celle-ci ne se décrète pas. Paix et réconciliation progressent ou prédominent si le système de gouvernance (Etat de droit, représentation démocratique, fonctionnement effectif des institutions et des contre-pouvoirs, etc.) le permet.

*André Guichaoua est professeur de sociologie à l’Université Paris-I, Panthéon-Sorbonne, et Directeur du Master de recherche « Sociologie et anthropologie du développement  ». Chercheur, spécialiste des Grands Lacs, André Guichaoua intervient comme témoin et expert dans de nombreuses procédures judiciaires. Il est ainsi témoin-expert auprès du bureau du Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) depuis 1996. André Guichaoua est également Président du Bureau exécutif et du Comité scientifique du Réseau documentaire international sur la région des Grands lacs africains.

 

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