LES ACCORDS DE COTONOU

LES ACCORDS DE COTONOU

mardi 7 octobre 2008,par Jean Bosco Nzosaba

I- Quel avenir pour Cotonou ?

Quel avenir l’Accord de Cotonou peut-il espérer ? En 2010, il fera l’objet d’une nouvelle révision pour laquelle la Commission européenne se prépare déjà. Mais la société civile tant ACP qu’Européenne serait bien inspirée de s’en préoccuper. Malgré ses défauts et surtout les lacunes que connaît sa mise en œuvre, « Cotonou  » reste un instrument porteur de solidarité et de participation. Les critiques légitimes qui se font régulièrement entendre doivent viser à l’améliorer et non à le démanteler. Car de nombreux nuages s’amoncellent autour de l’Accord !.

D’une part, il y a le développement de la Stratégie UE-Afrique, lancée à Lisbonne fin 2007 et que certains officiels verraient bien peu à peu dicter sa loi aux orientations du Fonds Européen de Développement (FED). La Stratégie UE-Afrique se veut aussi un nouvel instrument d’échanges politiques entre les deux continents, au risque d’affaiblir les espaces construits par « Cotonou  »

Et que dire alors des APE ? Les négociations avec les 6 régions ACP se poursuivent, influençant non seulement de plus en plus les orientations de la coopération au développement mais impliquant également la mise en place de 6 conseils conjoints (un avec chaque région APE) : n’est-ce pas une nouvelle façon de vider de sa substance le dialogue voulu par « Cotonou  » ?

Ajoutons à cela que la place du FED dans le cadre de l’architecture financière de l’Union européenne sera remise prochainement en débat dans le cadre de la préparation des nouvelles perspectives financières de l’Union pour après 2013.

Résumons-nous : tous ces débats et processus ont un impact direct ou indirect sur les relations entre l’Union européenne et les pays ACP, le rôle et la cohésion du groupe ACP et la qualité de l’aide. Quelque part, ils questionnent l’avenir de l’Accord de Cotonou. Celui-ci ne finira-t-il pas par être dépecé et remplacé par une série d’accords commerciaux encadrant la coopération au développement sous le chapeau politique d’une stratégie Ue-Afrique qui dessinera le dialogue entre ces deux continents, les Caraïbes et le Pacifique relevant d’autres partenariats stratégiques. Mais que deviendra alors le groupe ACP et des institutions comme l’Assemblée Parlementaire Paritaire qui arrive de mieux en mieux à faire entendre sa voix

Le dialogue politique entre les ACP et l’UE n’a jamais atteint le niveau que les ACP souhaitaient. Il semble que l’Europe n’y voie pas le même intérêt que ceux-ci. Ainsi, le Conseil européen a refusé la tenue d’un Sommet des Chefs d’Etat UE-ACP sous le prétexte qu’il existe par ailleurs des Sommets de ce genre avec l’Afrique et l’Amérique latine… et que les pays ACP y participent. On peut donc se demander si le groupe ACP reste bien l’interlocuteur que l’Europe privilégie et si celle-ci ne se tournera pas de plus en plus vers d’autres forums où elle pense mieux se faire entendre.

Ces orientations portent en germes l’acte de décès de l’Accord de Cotonou et la disparition du groupe ACP. Or, ceci serait un dramatique retour en arrière. En effet, même si l’Union européenne n’y attache pas l’importance qu’elle devrait, le dialogue et la coopération voulus par « Cotonou  » sont gravés dans le cœur des textes de l’Accord. Ils reposent sur des institutions existantes qui n’ont pas leur égal dans d’autres cadres. Le groupe ACP, fort de 78 membres, est puissant et, en collaboration avec des Etats européens, il peut influencer significativement des négociations internationales comme à l’OMC. Enfin, les Acteurs non-étatiques ont une place reconnu dans ce dialogue même si dans la pratique, beaucoup de chemin reste à parcourir. Certes, il faut continuer à améliorer « Cotonou  ». Faire fonctionner les espaces de dialogue, redonner une place que le développement tend à céder aux politiques de libéralisation commerciale, renforcer le rôle de la société civile. Mais tout cela dans l’optique d’un Accord de Cotonou renforcé et non de sa disparition au profit de nouvelles approches qui n’offrent aujourd’hui nulles garanties de construire des alternatives plus démocratiques et à l’écoute des populations.

II- Aucun APE n’est signé jusqu’à présent

Neuf mois après la crise de la fin de l’année 2007, aucun accord de partenariat économique n’est signé : ni l’accord dit « complet  » avec les Caraïbes, ni les accords dits « intérimaires  » avec 20 pays ACP dont 18 pays africains. Aucun de ces accords n’est notifié à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) non plus. Officiellement l’OMC n’est pas au courant de leur existence.

Pourtant en décembre dernier, la Commission européenne avait mis beaucoup de pression sur les pays ACP pour qu’ils signent au moins des accords partiels sur le commerce de marchandises avant la fin de l’année, en vue d’éviter de tomber dans une situation contraire aux règles de l’OMC. Or, neuf mois plus tard, l’OMC n’est toujours pas informée de l’existence de ces accords.

Selon la Commission européenne, la raison de ce délai se trouve dans l’incapacité de ses services de produire à temps la traduction obligatoire de tous ces accords dans toutes les langues officielles de l’Union européenne (UE). Pourtant, aux pays ACP qui demandent de renégocier certains éléments des accords intérimaires qu’ils contestent, la Commission répond que le temps ne permet pas une telle renégociation, et que les accords intérimaires une fois traduits, doivent être signés et notifiés immédiatement à l’OMC sans changements ! Pour les traductions il y a donc du temps mais pour les préoccupations fondamentales des ACP, non !

Selon la Commission, la révision des contentieux (taxes à l’exportation, mesures de sauvegarde…) ne peut avoir lieu que dans le cadre de la poursuite des négociations pour des accords complets, c’est-à-dire si les ACP acceptent de négocier la libéralisation des services, des investissements, des marchés publics, et le renforcement des règles de propriété intellectuelle. Ces accords complets remplaceront alors les accords intérimaires. Mais ceci obligera les ACP à signer des accords intérimaires non- amendés sans aucune garantie que les contentieux seront résolus d’une manière satisfaisante lors de la poursuite des négociations. Il n’est donc pas certain que beaucoup de pays ACP seront enclins à signer les accords intérimaires, une fois les textes traduits par la Commission.

Entre temps, l’Afrique de l’ouest poursuit à son propre rythme ses discussions sur le tarif extérieur commun (TEC), la liste régionale des produits sensibles et l’offre régional d’accès au marché, sans crise apparente avec la Commission.

L’Afrique Centrale, par contre, semble reprendre la tête de la course. Selon la Commission, la région n’avance pas seulement dans les négociations sur les marchandises mais aussi sur les services ; le texte conjoint les concernant serait presque achevé. Mais les textes qui circulent montrent que c’est la Commission qui tient la plume et que la région n’est pas aussi engagée qu’elle essaye de le faire croire. Dans les autres régions, les négociations n’avancent pas aussi rapidement que la Commission le souhaiterait.

En Afrique Australe, les démarches de la Commission ont causé des divisions et des problèmes complexes qui se montrent très difficiles à résoudre. Les pays d’Afrique de l’Est se battent pour la révision des points de contentieux dans les accords intérimaires.

Hors Afrique, les négociations avec les îles du Pacifique se sont arrêtées, il y a quelques mois. Pour ces îles si lointaines, les services sont beaucoup plus importants que les marchandises. Mais puisque l’UE ne veut pas offrir un accès à son marché aux prestataires de services du Pacifique, la région a décidé que continuer les négociations n’avait plus guère de sens.

Les Caraïbes, seule région qui avait paraphé un accord complet l’année passée, ont connu de vifs débats toute l’année entre organisations de la société civile, académiques et politiques sur la qualité de l’accord et son apport à l’intégration régionale et au développement. Résultat : le 10 septembre, deux pays, Haïti et la Guyane, ont décidé de ne pas signer l’accord ! Le Président de la Guyane surtout avait des objections fondamentales et proposait de ne signer que la partie de l’accord concernant les marchandises. Dans une lettre aux Caraïbes, datée du 19 septembre dernier, le Commissaire Mandelson a menacé de retirer le libre accès des produits de Guyane au marché européen ! La Commission et le Conseil européen ont pourtant affirmé plusieurs fois qu’ils allaient respecter la volonté des pays ACP. Il ne peut donc être question d’obliger la Guyane à signer les parties de l’accord que ce pays n’estime pas être dans son intérêt !

III Les leçons d’une crise ?

Ces derniers mois, la crise des prix des produits alimentaires a mis à l’agenda politique l’agriculture et la sécurité alimentaire. Force est cependant de constater que les mesures prises par les autorités tant dans les pays ACP que les pays européens n’ont en fait cherché qu’à corriger les impacts sociaux négatifs de cette crise.

La Commission européenne, contrairement à ce que de nombreux experts préconisaient, a pris appui sur cette crise pour renforcer les offensives de libéralisation du commerce des produits agricoles. L’ancien Commissaire Mandelson a même été jusqu’à rechercher les causes de la crise dans le manque de libéralisme dans les échanges !

L’esprit des APE vise à supprimer ou limiter les instruments des réactions des pays ou des régions. Dans un contexte où chacun recommande de rétablir les capacités d’action des Etats dans le domaine de la sécurité alimentaire par un renforcement des capacités de régulation, de stockage, d’établissement de taxes ou de quotas, … il est paradoxal, voire scandaleux, de demander aux Etats parmi les plus faibles de désarmer leur système de défense, avec en conséquence une diminution souvent importante de leurs capacités d’action budgétaire - occasionnée par la diminution des impôts requis par l’ouverture des marchés – et, donc de réduction du soutien budgétaire potentiel à leur agriculture …

Vouloir contraindre des Etats faibles à ne compter que sur les lois du marché pour assurer la sécurité alimentaire de leurs populations est assassin comme l’avait déjà clamé l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler. Les APE entrent en conflit frontal avec la souveraineté alimentaire exigée par les organisations paysannes et d’autres membres des sociétés civiles ACP.

Visiblement les autorités européennes ne veulent pas tirer de leçons de la crise récente … les Objectifs du Millénaire, déjà bien peu ambitieux, sont loin d’être atteints …

IV Dernières nouvelles du réseau

A l’instigation de nos amis du RODADDHD du Niger, une caravane panafricaine de militants de la société civile a parcouru les axes Niamey-Cotonou-Lomé-Accra-Niamey et Bamako-Burkina-Côte d’Ivoire-Accra-Bamako en vue de constater les entraves à la libre circulation des biens et des personnes. L’objectif était, dans chaque pays de remettre, un document constat au Ministre chargé de l’Intégration Africaine. Enfin, un rapport sur la situation de l’intégration comme alternative aux APE sera remis au Président de la CEDEAO à Accra et au Secrétariat ACP. Il est en effet capital que les organisations citoyennes dénoncent à travers des actions concrètes les frontières artificielles héritées de la colonisation. Pratiquement tous les points focaux du réseau Cotonou francophone en Afrique de l’Ouest seront impliqués.

Au Mali, le CAD a tenu une série de réunions d’échanges sur les APE ces derniers mois. En juin, une première rencontre avec des ANE (chefs de quartier de Bamako et services techniques) visait à affiner les positions de la société civile sur les APE. Deux jours après, un échange s’est déroulé sur la dette et sur les APE avec certains députés, ceux-ci soulignant l’importance du renforcement des capacités sur deux thèmes vitaux pour le pays. Les participants ont souhaité une multiplication de ce genre d’initiatives. La CAD-Mali a tenu aussi une Table Ronde sur les APE avec la délégation de l’UE le mardi 16 septembre. Assez curieusement, celle-ci avait souhaité inviter des responsables des services techniques de l’Etat, des parlementaires et les responsables de la Cellule d’Appui à l’Ordonnateur National du FED. Peur de se trouver seule face à la société civile ?

En Haïti, la PAPDA dans le cadre de la coalition BARE a adressé une lettre de félicitations au Président de la République pour son refus de signer un APE tel qu’il se présente actuellement. Ce refus se base sur de sérieux arguments comme la question des préférences régionales dans les relations avec la République Dominicaine, la faiblesse de la dimension développement et les anomalies concernant l’accès au marché. La coalition BARE souhaite dans cette lettre qu’Haïti persiste fermement dans son refus et demande que dans foulée se mette en place, avec toutes les couches organisées du pays, une stratégie nationale de développement qui prendrait en compte toutes les revendications fondamentales de la société haïtienne.

A Bruxelles, une délégation du groupe Cotonou Belgique a rencontré divers parlementaires européens (ou leurs assistants) rapporteurs sur le thème des APE ce 23 septembre. Ce fut aussi l’occasion de donner la parole à Mme Kathini Maloba, présidente de la « Kenyan Women Workers Organisation  » venue interpeller le Parlement sur le danger que les APE représentent pour le tissu économique africain et notamment pour le petit commerce et la petite industrie qui font vivre des millions de familles. Les Parlementaires présents ont mis en avant deux objectifs pour les mois qui viennent : poursuivre les pressions pour que les APE intérimaires soient revus et ouvrir le plus grand débat possible, en associant les Parlements ACP, sur les conséquences des APE si l’Accord paraphé dans les Caraïbes arrive pour ratification au Parlement européen (et dans les Parlements nationaux). Certes, il sera difficile de dire non… mais le Parlement peut ratifier un Accord en l’accompagnant de commentaires, de conditions… voire d’une motion demandant que les conséquences socio-économiques de l’APE soient clairement mises en évidences et que celui-ci soit soumis à révisions périodiques.

A l’issue de la réunion, un important groupe de militants représentant diverses ONG belges et européennes se sont retrouvés devant le Parlement européen pour manifester leur opposition aux APE. Des représentants de la presse belge mais aussi d’agences de presse internationales les ont rejoints pour assister et rendre compte de la remise symbolique à une délégation de Parlementaires européens et nationaux de 100.000 pétitions rassemblées pour soutenir les campagnes qui demandent d’autres Accords entre l’Europe et les ACP.

Le réseau francophone participera aussi largement à une semaine de réflexion et de rencontres qui se tiendra à Bruxelles et Paris du 30 novembre au 6 décembre. Certes, comme souvent dans le cadre de budgets toujours plus étroits, la délégation a dû être limitée aux membres les plus actifs ces derniers mois. Mais elle comptera quand même des représentants de 12 pays : le Rwanda, le Burundi, la RDC et le Cameroun pour l’Afrique centrale, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Togo, le Bénin, le Niger, la Côte d’Ivoire et Haïti. Comme cette rencontre tombe en pleines activités autour de la Présidence française de l’Union européenne, un programme a été combiné avec Coordination Sud, la plate-forme des ONG françaises. Après la réunion du réseau proprement dite le 30 novembre, ses membres seront rejoints par d’autres invités ACP de Coordination Sud, d’abord pour deux jours de rencontres et de contacts avec les institutions européennes à Bruxelles puis pour un séminaire sur le FED et un forum UE-Afrique, les 4 et 5 décembre à Paris. Ce dernier sera notamment l’occasion de se pencher sur l’avenir de Cotonou dans le nouveau cadre institutionnel qui se dessine et dont le premier article de ce bulletin se fait l’écho.

La prochaine édition de ce bulletin s’appuiera bien évidemment sur les multiples informations que cette semaine va rassembler et qui devraient guider nos mobilisations dans les mois qui viennent, tant en ce qui concerne les APE qu’en ce qui concerne la mise en œuvre du 10ème FED.

 

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