Investiture du Pr ?sident burundais : la soci ?t ? civile glisse un m ?morandum

mercredi 25 août 2010,par Jean Bosco Nzosaba

MEMORANDUM

Quelles attentes de la société civile des institutions nouvellement élues ?

A l’occasion de l’entrée en fonction de nouveaux élus à tous les niveaux, les Organisations de la Société Civile (OSC) signataires du présent mémorandum adressent ses sincères félicitations à tous ceux qui ont bénéficié de la confiance du peuple et leur souhaitent de travailler à la satisfaction de tous les Burundais ;

A cette même occasion, les organisations de la société civile signataires de ce mémorandum expriment, sans être exhaustif, à l’endroit des nouveaux élus es attentes suivantes :

Dans le domaine politique

1. Les Organisations de la Société Civile signataires de ce mémorandum rappellent que les élections de 2010- élections que la société civile a d’ailleurs observées avec abnégation- ont été malheureusement boycottées par douze partis politiques de l’opposition.

2. La conséquence en a été que les institutions issues de ces élections sont largement dominées par un seul parti politique. Cela risque de constituer une entrave majeure à la démocratie.

3. Les organisations signataires de ce mémorandum considèrent que l’Etat de droit est un principe fondamental sur lequel repose toute démocratie et que le principe constitutionnel de la séparation des trois pouvoirs doit être respecté.

4. Aussi, la situation qui a prévalu pendant la période électorale a forcé certains leaders de l’opposition à prendre le chemin de l’exil, avec ce que cela comporte comme conséquence dans un pays qui se recherche encore en matière de stabilité politique.

5. Il convient aussi de rappeler que les Burundais attendent toujours la mise en place des institutions chargées de résoudre et/ou de prévenir les conflits ou les violations des droits de l’homme. Il s’agit notamment de :

• la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme attendu depuis longtemps et dont la composition devra immanquablement respecter les Principes de Paris ; • l’Ombudsman qui devra être une personnalité irréprochable, consensuelle, inspirant la confiance des citoyens de toutes les composantes et capable d’assumer ce rôle tel que le prévoit la constitution de la République du Burundi ; • l’Observatoire de prévention et de lutte contre le génocide ; • les mécanismes de justice transitionnelle, à savoir la commission vérité réconciliation et le tribunal spécial pour le Burundi

6. En ce qui concerne les mécanismes de justice transitionnelle, les organisations signataires de ce mémorandum apprécient le pas déjà franchi en organisant les consultations nationales. Néanmoins, elles regrettent que ces mécanismes tardent à être mis en place et que les citoyens continuent à élire leurs dirigeants sans connaître leur degré de responsabilité dans les crimes qui ont endeuillé notre pays. Ceci a pour conséquence la culture de l’impunité du crime et de la globalisation des criminels et des victimes.

7. En ce qui concerne les droits et libertés, les organisations de la société civile apprécient les efforts fournis par les institutions de la législature passée. Cependant, les mêmes organisations mentionnent que le Burundi a enregistré dans la même législature un nombre important de journalistes et membres de la société civile emprisonnés abusivement.

8. A titre de rappel, les emprisonnements irréguliers des journalistes et des leaders de la société civile en 2006 ont créé un mauvais précédent dans les relations entre les pouvoirs publics et la société civile.

9. Fort heureusement, le dialogue a prévalu au lendemain des rencontres entre le Président de la République et les représentants des médias et de la société civile. Mais les nouvelles détentions irrégulières des journalistes Jean Claude KAVUMBAGU et Thierry NDAYISHIMIYE au lendemain de la victoire du CNDD-FDD en 2010 présagent, jusqu’à preuve du contraire, la réédition du calvaire subi injustement par les femmes et hommes des médias burundais au lendemain des élections de 2005.

10. Il sied de rappeler également que la méfiance entre le pouvoir et les organisations de la société civile œuvrant surtout dans la gouvernance a pris une allure particulière lorsque la plateforme la plus représentative de la société civile burundaise FORSC s’est vue retirer son droit de fonctionner et par la suite lorsque la représentante d’une ONG œuvrant dans la promotion et la protection des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW) s’est vue retirer son accréditation au Burundi.

11. Les organisations apprécient cependant que le dialogue ait été privilégié ce qui a permis notamment au FORSC dont l’agrément avait été annulé de reprendre ses activités.

12. Les organisations signataires du présent mémorandum rappellent par cette occasion que l’Etat burundais devrait protéger les Défenseurs des Droits de l’Homme tel que le recommande la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme adoptée en 1998.

13. Il convient de rappeler que les médias et la société civile constituent des acteurs indispensables dans la gouvernance d’un pays. Persécuter les journalistes et les représentants de la société civile revient à gouverner sans rendre compte, et à abuser du pouvoir du peuple.

Dans le domaine judiciaire

14. Les organisations de la société civile, signataires du présent mémorandum apprécient les équilibres actuels au sein du personnel judiciaire, mais regrettent que ce processus tende à politiser ce secteur en reléguant au dernier plan les critères de compétences, avec toutes les conséquences que cela comporte sur le système.

15. Malgré les progrès enregistrés dans ce secteur, les organisations signataires du présent mémorandum constatent avec amertume l’existence de plusieurs initiatives de déstabilisation du personnel de la magistrature, notamment par des mutations, surtout à l’endroit de ceux qui interviennent dans des affaires jugées sensibles.

16. Les organisations signataires du présent mémorandum regrettent que la culture de l’impunité se soit installée. Signalons à titre d’exemple, le cas des assassins et des commanditaires de l’assassinat d’Ernest MANIRUMVA, ancien vice-président de l’OLUCOME, qui ne sont pas encore identifiés et punis conformément à la loi.

17. Les organisations de la société civile, signataires du présent mémorandum se réjouissent néanmoins de la fixation de ce dossier devant les juridictions compétentes, bien que certains hauts cadres du secteur de la sécurité sur lesquels pèsent de lourds soupçons n’aient pas été entendus par la Commission ad hoc pour des raisons qui sont restées obscures et ne soient pas jusqu’ici poursuivis.

18. Aussi, le principal accusé dans le dossier des massacres d’une trentaine de Burundais innocents à Mukoni en 2007 dans la province de Muyinga est toujours en cavale et a bénéficié de la protection de ceux là qui devraient plutôt protéger et assurer la justice aux victimes de ce massacre.

Dans le domaine de la sécurité

19. L’entrée en fonction de nouveaux élus intervient au moment où des signes d’insécurité se multiplient. Ici on peut citer à titre d’exemples : • les armes qui circulent encore au sein de la population civile, malgré les efforts louables de désarmement observés au cours de l’année 2009 ; • la recrudescence du banditisme à mains armées, etc.

20. Ces cas d’insécurité s’ajoutent à des informations persistantes selon lesquelles il y aurait une formation d’une nouvelle rébellion, éloignant ainsi l’espoir d’une stabilité tant souhaité par les Burundais.

Dans le domaine économique

21. Les organisations signataires du présent mémorandum apprécient la mise en place des mécanismes de lutte contre la corruption. Mais, elles constatent amèrement que la corruption n’a jamais cessé de monter.

22. Aujourd’hui notre pays est classé parmi les premiers en corruption dans les palmarès des organisations internationales. Il est précisément classé premier au niveau des pays de l’East Africa Community selon le récent rapport de Transparency International.

23. Les organisations signataires déplorent en outre que des responsables condamnés pour corruption et/ou autres infractions connexes continuent à occuper des postes de responsabilités. Cela incite les autres à emprunter la même voie pour s’enrichir illicitement et sur le dos du contribuable qui reste démuni.

24. Les organisations de la société civile, signataires du présent mémorandum attendent que cette situation de corruption qui ternit l’image du Burundi et le maintien dans la pauvreté change.

25. Les organisations signataires rappellent aux mandataires politiques que la déclaration du patrimoine à l’entrée comme à la sortie des fonctions constitue une exigence légale et une garantie de transparence dans la gestion de la chose publique.

26. Au niveau des choix économiques stratégiques, il convient de rappeler que le gouvernement burundais n’alloue que 3,6% du budget de l’Etat à l’agriculture alors que c’est le secteur qui fait vivre la majorité de la population. Cette réalité est loin de permettre la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement, dans ce pays où les pauvres se comptent à 69% de la population burundaise.

27. Les organisations de la société civile signataires du présent mémorandum exhortent les institutions qui entrent en fonction d’initier des programmes favorisant la croissance économique, en mettant en avant le financement des secteurs pro pauvres et la promotion du secteur privée.

28. Au niveau de l’intégration régionale, les organisations signataires de ce mémorandum rappellent que le Burundi adhère au sein de la Communauté Est Africaine en position de faiblesse par rapport aux autres pays membres de la communauté sur plusieurs plans. Pour ce, une stratégie d’adhésion s’impose pour contourner les faiblesses en s’appuyant sur les atouts avec une exploitation maximale des opportunités qui s’offrent.

29. Les organisations regrettent l’absence d’une communication permanente de la part des autorités sur l’intégration dans la Communauté Est Africaine, ce qui risque de provoquer l’incompréhension de la population.

Dans le domaine social

30. Dans le domaine social, les salaires constituent une question qui mérite une attention particulière. Les organisations signataires du présent mémorandum apprécient positivement l’engagement pris par le gouvernement de mettre en place une commission chargée d’étudier la problématique des disparités salariales.

31. Néanmoins, elles regrettent que le rapport de cette commission n’ait pas encore été traité jusqu’ici et font remarquer que les disparités salariales démotivent les travailleurs victimes du système de deux poids deux mesures.

32. Les organisations signataires du présent mémorandum apprécient les mesures sociales prises dans le secteur de la santé. Quoique des améliorations restent nécessaires pour faire profiter les bénéficiaires de ces mesures de façon équitable, elles ont permis à certains vulnérables burundais d’accéder au minimum de soins de santé.

33. Les organisations de la société civile, signataires de ce mémorandum, apprécient aussi les efforts fournis dans la scolarisation de tous les enfants en âge de l’être. Toutefois, elles regrettent que la multiplication des infrastructures scolaires ait accaparé toute l’attention des dirigeants, ignorant qu’une classe construite demande ipso facto un enseignant et du matériel scolaire. Le manque criant de matériel scolaire, l’insuffisance des enseignants, la politisation de l’administration scolaire ont porté un coup fatal à la qualité de l’enseignement qui doit aujourd’hui constituer une priorité.

34. Les organisations signataires du présent mémorandum se félicitent de la prise en compte de la femme burundaise dans la sphère de prise de décision. Néanmoins, elles déplorent que le projet de loi sur les successions, les régimes matrimoniaux et libéralités n’ait pas pu avancer pour codifier ce domaine encore régi par la coutume et malheureusement en défaveur de la femme.

35. Les organisations signataires du présent mémorandum saluent la promulgation du nouveau code pénal qui réprime sévèrement les violences basées sur le genre mais regrettent que les instances de répression ne sont pas effectivement à l’œuvre.

36. Les organisations signataires du présent mémorandum font remarquer également que le chômage de jeunes diplômées devient de plus en plus inquiétant et qu’une politique de création de l’emploi s’impose de façon urgente et que les critères de recrutement doivent être définis pour endiguer la corruption qui se cache derrière les demandes d’emploi.

37. Les organisations de la société civile, signataires du présent mémorandum font remarquer qu’elles ont amèrement assisté à une forte déstabilisation des organisations syndicales par le pouvoir à travers des mutations abusives des leaders syndicaux et le refus des services de la fonction publique de faciliter la collecte des cotisations syndicales, ce qui constitue des approches de nature à paralyser l’action syndicale. Les organisations rappellent que les conventions en matière de liberté syndicale ratifiées par le Burundi doivent être respectées.

38. Les organisations signataires du présent mémorandum constatent également que la lutte contre le VIH/SIDA constitue une priorité et une question sensible, et que toute polémique à ce sujet devrait être évitée.

Recommandations :

Eu égard à ces attentes, les organisations de la société civile, signataires de ce mémorandum recommandent aux nouvelles institutions :

Au niveau politique de

1. Assainir le climat politique pour permettre à tous les citoyens l’exercice des droits et libertés reconnus par la constitution burundaise et les instruments internationaux de protection des droits de l’homme ratifiés par le Burundi ;

2. Privilégier le dialogue avec tous les acteurs sociopolitiques pour prévenir les crises ;

3. Protéger les Défenseurs des Droits de l’Homme tel que le recommande la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains ;

4. Considérer les médias, les membres de la Société Civile et les partis de l’opposition comme des partenaires dans l’avancée de la démocratie et de leur assurer de bonnes conditions de travail ;

5. Mettre en place la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme conformément aux Principes de Paris ;

6. Mettre en place les mécanismes de justice transitionnelle pour favoriser la réconciliation des Burundais ;

7. Mettre en place l’institution de l’Ombudsman ;

8. Au niveau judiciaire

9. Mettre en place un cadre légal approprié de nature à promouvoir l’indépendance de la magistrature ;

10. Mettre sur pied la loi sur la Haute Cour de Justice prévue par la constitution ;

11. Appliquer le principe de l’inamovibilité des juges pour endiguer leur déstabilisation ;

12. Accroitre l’action des instances judiciaires en vue de mettre un terme à l’impunité et à la justice populaire ;

13. Rappeler sans cesse aux magistrats le principe de la présomption d’innocence ; la liberté étant la règle et la détention l’exception.

Au niveau économique

14. Prendre des mesures nécessaires et efficaces pour endiguer la corruption et les malversations économiques ;

15. Ecarter du pouvoir et des postes de décision toutes les personnalités condamnées et/ou accusées de corruption, de malversations économiques et de mauvaise gestion ;

16. Multiplier les programmes pro pauvres en vue de réduire la pauvreté ;

17. Initier des programmes destinés à relever le niveau de croissance économique par des mesures concrètes de soutien au secteur prive ;

18. Accélérer des reformes nécessaires pour une réussite de l’intégration sans accrocs.

19. Appliquer scrupuleusement le principe de déclaration du patrimoine à l’entrée et à la sortie des fonctions par les agents et mandataires publics.

Au niveau social

20. Elaborer une politique salariale concertée afin de réduire les disparités persistantes ;

21. Elaborer la politique de l’emploi et déterminer les critères de recrutement dans les services publics ;

22. Prendre des mesures nécessaires pour relever la qualité de l’éducation et cesser la politisation de l’administration scolaire ;

23. Privilégier le dialogue social dans le milieu du travail pour prévenir les grèves répétitives ;

24. Adopter une loi sur les successions, les régimes matrimoniaux et les libéralités ;

25. Améliorer la répression des violences basées sur le genre.

Au niveau sécuritaire

26. Continuer le processus de désarmement ;

27. Continuer la professionnalisation et la moralisation de la police nationale .

 

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